TIBA ou TIBA pas?

JackZ

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Maintenant que je suis sur A330 et que je fais du Long courrier avec des vols de plus de 12 heures, on est amenés à survoler des pays où l’ATC est absent voire inexistant pendant des heures…
Des mesures sont alors mises en place pour que tout se passe bien dans ces corridors assez fréquentés. C’est (entres autres) la procédure TIBA (Trafic Information Broadcasts by Aircraft) évoquée dans le titre, et c’est le cas entre autres de l’Afghanistan qu’on traverse dans toute sa largeur lors des vols entre Bangkok et CDG.

[Mode digression ON]
Note: La route Asie-Europe via l’Afghanistan n’est qu’une des routes possibles, mais vu que certains pays sont interdits de survol (Iran et URSS entres autres), il reste peu de possibilités :
1- un étroit couloir qui traverse l’Afghanistan depuis le Pakistan jusqu’au Turkménistan, puis le nord de la Turquie via Baku (5400 Nm)
2- un autre couloir qui remonte le golfe Persique au sud du Pakistan et rejoint la Turquie via l’Irak (5700Nm)
3- une traversée depuis le détroit d’Ormuz vers l’Egypte à travers toute l’Arabie Saoudite et qui finit en Israel, puis Turquie et Serbie (5900Nm)
4- une route encore plus au sud que l’option 3 qui nous fait sortir entre Égypte et Lybie et remonter vers l’Europe via la Grèce et l’Italie (+6000 Nm)

Au niveau optimisation, la route 1 est la plus proche de l’orthodromie (route idéale la plus courte 5107 Nm), sachant que de toutes façons on a la barrière infranchissable de l’Himalaya.

Toutes les autres routes rajoutent entre 40 mins et 1,5h de vol en plus ce qui sur un vol déjà long peut rendre les choses compliquées (limitation d’emport des pax sur les routes les plus longues). Le choix se fait généralement en étant guidé par des considérations géopolitiques:
- Suite au récent conflit Inde/Pakistan au Kashmir la route 1 a été fermée pendant 3 semaines et on a dû utiliser la route 2 en remplacement, par exemple.
- Puis la route 2 a été fermée à son tour quand Iran et Israël on décidé de s’envoyer missiles et bombardiers en passant par l’Irak. Heureusement la route 1 était redevenue disponible!
[Mode digression OFF]

La procédure TIBA est ainsi applicable en Afghanistan, qui n’a aucun contrôle aérien en route, et était il y a peu encore une zone de conflit avec pas mal d’armes légères d’origine soviétique encore en circulation, en conjonction avec avec d’autres procédures spécifiques:
- Altitude minimale de survol de la zone: FL320 (censée éviter les risques de tirs de missiles tirés à l’épaule (ou MANPADS, d’une portée moyenne 10kms et 6000m d’altitude))
- 4 ou 5 routes imposées dans la traversée Est/Ouest seulement (voir carte plus loin).
- Maintien de la vitesse et de l’altitude initiale obligatoire pendant toute la traversée de zone (sauf urgence);
- Comme il n’y a aucun suivi radar, établissement et maintien d’une séparation longitudinale minimale préalable entre avions, qui est gérée par les ATC des pays frontaliers (Pakistan et Turkménistan). On peut donc être amenés à monter/descendre, accélérer ou ralentir, voire faire un tour de circuit d’attente à haute altitude sur demande de Lahore Control ou Turkmenabad Control, un peu avant de pouvoir entrer dans la zone.
- Des procédures d’urgence spécifiques en cas de dépressurisation (oxygen escape routes), avec des cheminements et des altitudes minimales de descente, l’Afghanistan étant composée essentiellement de montagnes avec des altitudes minimales de sécurité élevées > 18000 ft voire plus.

La procédure TIBA est donc une procédure où tous les avions de la zone sont sur une fréquence commune (en Afghanistan c’est 125.200) et font des rapports de position à l’intention des autres avions (situational awareness), sans aucune intervention d’un contrôle qui n’existe pas.

On fera un rapport:
- 10 minutes avant d’entrer dans l’espace TIBA
- 10 minutes avant d’arriver à un point de report ou croiser une airway
- a 20 minutes d’intervalle entre deux points de reports distants
- 2 à 5 minutes avant un changement de niveau de vol (à éviter si possible)
- au moment du changement de niveau vol

En clair on commencera une veille radio sur 125.200 (fréquence VHF TIBA pour la FIR de Kabul) sur COM 2 dix minutes au moins avant d’entrer dans la zone.
À chaque point de report on fera un message radio selon un format précis:
« All stations Kabul FIR, (callsign), FL XXX (ou Climbing to FL XXX), Southeast bound /Northwest bound (direction du vol ou FROM/TO) on L750 (Airway), position XXXX at (time UTC), estimating position YYYY at (time UTC), (callsign), FL XXX, Southeast bound/Northwest bound, out. »

On portera évidemment attention aux autres traffics sur la même route, qu’on surveillera au TCAS pour les plus proches.

Voila de quoi vous occuper en croisière pour les simmers les plus hardcore!

Quelques cartes pour finir ce long post.

1-Orthodromie (Grand cercle), route théorique la plus courte et qui survole l’Himalaya (impossible)
033EFCB8-A815-45AC-AFA4-A782CF1020A7.jpeg

2- Route 1 via l’Afghanistan
24EE0B5C-2514-44C6-B6DD-51D09727986A.jpeg

2- Route 2 via l’Irak
6040571F-FC4D-4BC4-87B5-E7A1D84703E8.jpeg
 
Dernière édition:
Les routes obligatoires pour les traversées de l’Afghanistan, avec les niveaux de vol associés. Les deux routes les plus au Sud qui débouchent en Iran ne sont pas utilisées.
IMG_3037.jpeg

Les « oxygen escape routes » associées (propre à chaque compagnie).
IMG_3038.jpeg

Et voici la route via L 750 faite hier soir avec les points de report. On notera les altitudes de sécurité de Grille (Grid MORA) qui sont supérieures à 18900 ft
IMG_3039.jpeg

Comme quoi, en croisière on a de quoi s’occuper!
1- Il ne faudra pas non plus oublier de contacter Lahore 15 minutes avant d’entrer dans leur zone, et/ou Turkmenabat 80 à 100 Nm avant. Il faut donc jouer avec Com 1 ET Com 2 à ce moment là.

2- Vu que la traversée de l’Afghanistan se fait via une oxygen escape route, on prévoira des points caractéristiques via FIX INFO pour savoir quoi faire et où aller en cas de dépressurisation (voir carte).
On notera que (voir carte associée):
- il existe des segments où il est interdit de virer vers le Nord pendant la descente d’urgence;
- suivant l’endroit du problème, la descente d’urgence se fera initialement jusqu’au FL 180, puis ensuite jusqu’au FL 140 maximum avant d’arriver enfin à des segments avec une altitude de sécurité < FL 100

Pour prendre en compte l’effet de surprise, briefer avant et positionner des marqueurs sur le ND peut grandement simplifier la vie pour savoir où on doit aller, ceci au cas fort improbable où « the shit hits the fan ».

Bon vol!
 
Dernière édition:
Salut ,
Merci Jack pour ce topo bien sûr inconnu pour le commun des mortels , sans parler des simeurs du dimanche ;)
Bons vols et bon courage
RoRo
 
Si vous voulez la route en entier me contacter par MP. 12:30 aller, 11:50 retour en A330-900 Neo
 
Salut ,
Merci Jack pour ce topo bien sûr inconnu pour le commun des mortels , sans parler des simeurs du dimanche ;)
Bons vols et bon courage
RoRo
Oui c’est pour ça que je vous en fait part, je me suis dit que ça pourrait pimenter un peu vos vols long courriers!

Ceci dit, les « oxygen escape routes » sont applicables également en Europe lors du survol des Alpes par exemple. Là également des cartes spécifiques, propres à chaque compagnie, sont éditées. ( @Tim si tu me lis, je serais curieux de comparer nos cartes en MP!)
En vol, un peu avant de rentrer dans la zone concernée, on briefera et préparera les terrains de dégagement et les trajectoires et altitudes à respecter en cas de dépressurisation. Pas question de les découvrir dans l’urgence une fois le masque à oxygène sur le visage!
 
Dernière édition:
Et j’ajouterais que pour pimenter le tout, un certain état malfaisant s’amuse à brouiller les GPS… il faut donc penser à les désactiver quand on arrive sur les segments concernés…
 
Et j’ajouterais que pour pimenter le tout, un certain état malfaisant s’amuse à brouiller les GPS… il faut donc penser à les désactiver quand on arrive sur les segments concernés…
Je confirme, à l’aller BKK-CDG on a perdu les GPS tout du long à partir du Myanmar (une autre zone de conflit avec brouillage GPS quasi permanent) et on les a jamais récupéré.
Heureusement les centrales inertielles dérivent assez peu au global, et se recalent dès que possible sur les moyens radio à proximité, en priorité DME/DME, voire VOR/DME.
Le niveau de précision de navigation (RNP) reste donc en permanence suffisant pour poursuivre le vol sans aucune incidence et en toute sécurité.
Les procédures Airbus associées au GPS Spoofing/Jamming deviennent de plus en longues à ce sujet.
 
Dernière édition:
Je confirme, à l’aller BKK-CDG on a perdu les GPS tout du long à partir du Myanmar (une autre zone de conflit avec brouillage GPS quasi permanent) et on les a jamais récupéré.
Heureusement les centrales inertielles dérivent assez peu au global, et se recalent dès que possible sur les moyens radio à proximité, en priorité DME/DME, voire VOR/DME.
Le niveau de précision de navigation (RNP) reste donc en permanence suffisant pour poursuivre le vol sans aucune incidence et en toute sécurité.
Les procédures Airbus associées au GPS Spoofing/Jamming deviennent de plus en longues à ce sujet.
Je pense que le brouillage (jamming) est un moindre mal, les IRS comme tu dis dérivent peu mais si au lieu de brouiller ils balancent de fausses coordonnées (gps spoofing) le risque de dévier significativement de sa route est bien réel, pire entrer dans une restricted zone ou potentiellement risquer une collision…
Bref, si on constate que l’on perd les gps, on sait à l’avance où cela va se produire, donc le mieux est probablement de les désactiver un peu avant j’imagine? Je ne connais pas les procédures, mais n’oublions pas non plus que l’avion transmet sa position par l’ADS-B et va alors en plus envoyer une position erronée…
Concernant le pire scénario (gps spoofing), il me semble qu’il y a déjà eu des cas… on sait que les russes s’amusent avec cela au frontières avec l’otan, il faut de gros moyens pour faire cela et c’est l’apanage d’un état, ce n’est pas à la portée d’un simple hacker…
 
Dernière édition:
Je pense que le brouillage (jamming) est un moindre mal, les IRS comme tu dis dérivent peu mais si au lieu de brouiller ils balancent de fausses coordonnées (gps spoofing) le risque de dévier significativement de sa route est bien réel, pire entrer dans une restricted zone ou potentiellement risquer une collision…
Bref, si on constate que l’on perd les gps, on sait à l’avance où cela va se produire, donc le mieux est probablement de les désactiver un peu avant j’imagine? Je ne connais pas les procédures, mais n’oublions pas non plus que l’avion transmet sa position par l’ADS-B et va alors en plus envoyer une position erronée…
Concernant le pire scénario (gps spoofing), il me semble qu’il y a déjà eu des cas… on sait que les russes s’amusent avec cela au frontières avec l’otan, il faut de gros moyens pour faire cela et c’est l’apanage d’un état, ce n’est pas à la portée d’un simple hacker…
Pour le GPS spoofing, j’ai eu moi et les collègues plusieurs cas:
- des alertes EGPWS en croisière (TERRAIN, TERRAIN), parce que la position avion et l’altitude étaient erronées par rapport à la base de données.
- perso une fois en Turquie, en approche sur LTFJ, en route vers le point situé juste avant l’IAF. Le contrôle nous appelle et nous demande de confirmer qu’on va bien vers le point XXXX.
- « Ben oui, il est pile en face sur le ND , on va droit dessus », répond le captain qui est PM et fait la radio.
- « Ah non je vous vois 5Nm à côté sur mon radar! » répond l’ATC…
Aucun message GPS PRIMARY LOST, aucun warning, le signal GPS reçu semblait valide et la position GPS ayant plus de « poids « que d’autres positions IRS seules, la position resultante (MIX IRS) avait créé l’écart.
On a immédiatement demandé des vecteurs radars, pour nous diriger correctement vers l’IAF et pas à côté , intercepté le LOC et redemandé confirmation à l’ATC qu’on était bien sur l’IAF et pu enfin commencer l’approche ILS qui elle ne dépend pas du GPS.
Résultat: à 5.3 Nm finale, aligné sur le glide et le loc, aiguilles centrées, le ND montrait le terrain décalé de 2.8 Nm à droite de l’axe et (enfin) le message GPS PRIMARY LOST.
 
Dernière édition:
Pour le GPS spoofing, j’ai eu moi et les collègues plusieurs cas:
- des alertes EGPWS en croisière (TERRAIN, TERRAIN), parce que la position avion et l’altitude étaient erronées par rapport à la base de données.
- perso une fois en Turquie, en approche sur LTFJ, en route vers le point situé juste avant l’IAF. Le contrôle nous appelle et nous demande de confirmer qu’on va bien vers le point XXXX.
- « Ben oui, il est pile en face sur le ND , on va droit dessus », répond le captain qui est PM et fait la radio.
- « Ah non je vous vois 5Nm à côté sur mon radar! » répond l’ATC…
Aucun message GPS PRIMARY LOST, aucun warning, le signal GPS reçu semblait valide et la position GPS ayant plus de « poids « que d’autres positions IRS seules, la position resultante (MIX IRS) avait créé l’écart.
On a immédiatement demandé des vecteurs radars, pour nous diriger correctement vers l’IAF et pas à côté , intercepté le LOC et redemandé confirmation à l’ATC qu’on était bien sur l’IAF et pu enfin commencer l’approche ILS qui elle ne dépend pas du GPS.
Résultat: à 5.3 Nm finale, aligné sur le glide et le loc, aiguilles centrées, le ND montrait le terrain décalé de 2.8 Nm à droite de l’axe et (enfin) le message GPS PRIMARY LOST.
Ca fait quand même flipper d’entendre cela, combiné à d’autres éléments (météo pourrie, minimum fuel etc), cela peut rajouter un stress inutile…
 
Ca fait quand même flipper d’entendre cela, combiné à d’autres éléments (météo pourrie, minimum fuel etc), cela peut rajouter un stress inutile…
Ben faut en être conscient tout le Nord de la Turquie est affecté. On est fort heureusement suivi radar dans ces zones, et on évite les procédures RNAV (GNSS) pas fiables dans ces espaces pour privilégier les approches conventionnelles.

En vol au moindre message d’erreur d’un système lié de près ou de loin au GPS, on vérifie la cohérence de la position avion à l’aide de moyens radio conventionnels, du genre DME/DME ou VOR/DME.
Et si le map shift est avéré on désactive le GPS et on continue à l’ancienne avec les moyens radio standard, au besoin en désactivant le mode NAV
 
Yola !
Quand je pense, a la lecture passionnante de ces écrits, qu'il "existe" quelques passagers qui pensent pouvoir ramener un Navion a la maison tout seul comme des grands ! Je n'imagine absolument pas l'ensemble que représentent ces tâches complexes. Bravo les pros; les vrais !
 
Oui, il faut aussi rappeler que les anciens pilotes ne disposaient pas de gps etc mais ils étaient 3 dans le cockpit en long courier (pas de balises sur les océans…)
Ce genre de contrariété rajoute un peu de workload mais fait partie du métier.
 
Cela me rappelle que j'ai eu du spofing en approche à Tel Aviv.

C'est arrivé en étape de base pour l'ILS 30, près de Jérusalem.

Tout d'un coup l'avion a commencé à virer de bord de manière assez incontrôlée. Je suis passé en HDG SEL, et heureusement que l'ILS était pas loin. J'ai armé le LOC puis le le glide et for heureusement on l'a intercepté correctement. Le reste s'est fait à l'ILS et au visuel.

Après l'atterrissage, la carte était toujours figée 15nm avant la piste. C'était assez impressionnant, et évidemment cela arrive en plein Line Check :-D

Amic

Tim
 
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